Numérique : le programme de la nouvelle Commission européenne
Source : Touteleurrope.eu / Par
Intelligence artificielle, Big Data, 5G, responsabilité des plateformes, taxation… Quel est le programme d’Ursula von der Leyen pour le numérique, l’une des trois priorités de la future Commission européenne avec le climat et l’économie, pour les cinq prochaines années ?
Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive désignée pour l’Europe numérique et commissaire à la Concurrence – Crédits : Lukasz Kobus / Commission européenne
Alors que la « transformation numérique » faisait partie des priorités de Jean-Claude Juncker, le président sortant de la Commission européenne, Ursula von der Leyen entend bien reprendre les chantiers de son prédécesseur. Plus encore, Mme von der Leyen veut miser sur les technologies numériques appelées à devenir déterminantes. Et notamment sur l’intelligence artificielle, sur laquelle le programme de la nouvelle Commission insiste beaucoup.
La Commission Juncker a mené à bien plusieurs réformes capitales sur l’encadrement du secteur : la directive sur le droit d’auteur, le règlement général sur la protection des données (RGPD), la neutralité du net ou encore la fin du roaming (les frais d’itinérance lorsque l’on voyage dans un autre Etat membre)… La nouvelle présidente de la Commission espère renforcer certaines de ces législations, comme celles relatives à la protection des données des utilisateurs de services numériques ou à la responsabilité des plateformes. Et aussi, reprendre certains dossiers ayant échoué, à l’instar de la taxation des géants du numérique.
Voici donc un digest des ambitions d’Ursula von der Leyen pour le numérique.
Trop tard pour recréer les GAFA en Europe
« Il est peut-être trop tard pour reproduire les géants du numérique« , admet le programme de la future Commission européenne. Si les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ne sont pas reproductibles en Europe pour Ursula von der Leyen, celle-ci entend néanmoins doter le Vieux Continent d’une « souveraineté technologique dans certains domaines technologiques essentiels« .
L’actuelle commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager aura pour mission de mener cet objectif à bien en tant que vice-présidente exécutive pour « Une Europe adaptée à l’ère du numérique ». Surnommée « la dame de fer de Bruxelles » pour ses amendes records infligées à Google et Apple, l’ancienne ministre danoise mènera cette mission conjointement à son activité de commissaire à la Concurrence, ce portefeuille lui ayant été de nouveau attribué.
Qui sont les futurs commissaires européens ?
Afin de faire de la souveraineté technologique une réalité et à défaut de pouvoir recréer les GAFA, la nouvelle Commission veut investir dans des technologies qui pourraient faire naître « la prochaine génération de géants du numérique« . Il s’agit notamment de la 5G, de la blockchain, du calcul à haute performance, de l’informatique quantique, des algorithmes ou encore des outils de partage et d’exploitation des données.
Pour ces technologies, Ursula von der Leyen souhaite des normes européennes, fer de lance de la puissance de l’UE à l’échelle mondiale. Un point de vue avancé dès 2005 par le politologue Zaki Laïdi dans l’ouvrage de référence La norme sans la force : L’énigme de la puissance européenne. « Dans le domaine commercial, la prime va toujours à ceux qui définissent un standard plus vite que les autres« , écrivait-il en 2014 dans la revue Esprit à propos des motivations européennes pour conclure un traité de libre-échange transatlantique. Ursula von der Leyen reprend à son compte l’idée selon laquelle la norme conduit à la puissance et par extension, à la souveraineté.
Et pour ne pas rater encore une fois le coche, comme ce fût le cas lors de l’émergence des géants américains du web, la nouvelle Commission veut ainsi normer les technologies émergentes du numérique… Avant qu’il ne soit trop tard.
L’intelligence artificielle et les données au cœur du programme
D’emblée, l’intelligence artificielle est évoquée dans le programme numérique de la Commission. Plusieurs fois, son importance pour l’avenir du secteur est mentionnée, en lien avec une « large utilisation des données« .
Ursula von der Leyen considère que les données et l’IA sont les « ingrédients de l’innovation qui peuvent nous aider à trouver des solutions aux enjeux sociétaux actuels, que ce soit dans le domaine de la santé ou de l’agriculture, de la sécurité ou de l’industrie manufacturière« .
Dans les 100 premiers jours de son mandat, Margrethe Vestager aura pour tâche de formuler une proposition législative pour une approche coordonnée au niveau européen « relative aux implications humaines et éthiques de l’intelligence artificielle« .
L’initiative législative proposée aura également pour but d’encadrer l’utilisation des « mégadonnées« , plus connues sous leur nom en anglais : Big Data. Ce concept désigne des flux de données si volumineux qu’ils dépassent les capacités d’analyse humaine et nécessitent l’utilisation d’outils très puissants pour être interprétés et utilisés. Ces données sont essentielles à une multitude de secteurs liés au numérique, et notamment dans le cadre de l’intelligence artificielle. Et la proposition émise dans les 100 premiers jours « devrait également examiner les moyens d’utiliser les mégadonnées pour favoriser des innovations qui créent de la richesse pour nos sociétés et nos entreprises« .
La future Commission souhaite que la priorité soit donnée à l’intelligence artificielle grâce à la mobilisation de fonds du cadre financier pluriannuel 2021-2027, ainsi que par le biais de partenariats public-privé.
Des mesures pour renforcer la protection des utilisateurs
L’utilisation massive des données souhaitée par Ursula von der Leyen doit être couplée avec la protection de la vie privée, des exigences de sécurité, de sûreté et d’éthique, indique-t-elle. A cet égard, son programme fait état de la contribution du règlement général sur la protection des données (RGPD), entré en vigueur en mai 2018.
La future présidente de la Commission européenne veut que Margrethe Vestager propose une législation sur les services numériques, intitulée « Digital Services Act » dans sa lettre de mission (en anglais). Celle-ci aura pour objet de renforcer les règles de responsabilités et de sécurité pour les plateformes, services et produits numériques. Cette législation devra aussi compléter le marché unique numérique, qui implique à terme la suppression des barrières réglementaires entre Etats membres en ce qui concerne le numérique.
Concernant la cybersécurité, Ursula von der Leyen entend créer une « unité conjointe de cybersécurité« .
Protection des données (RGPD) : ce qui change
Taxation numérique
Dans sa lettre de mission, Margrethe Vestager a également comme but de coordonner le travail sur une « taxation numérique pour trouver un consensus au niveau international d’ici la fin 2020 ou proposer une taxe européenne juste« .
Si la France et d’autres pays européens sont favorables à une taxe européenne sur le numérique, dite « taxe GAFA », plusieurs autres s’y sont montrés beaucoup moins favorables voire s’y sont opposés, à l’instar de l’Irlande, l’Allemagne, la Suède, le Danemark, la Finlande ou encore le Luxembourg. Cette taxe viserait à imposer au moins une partie des sommes réellement générées dans chaque Etat membre par les entreprises numériques. Et ainsi éviter que celles-ci soient artificiellement rapatriées dans des pays de l’UE à fiscalité avantageuse, comme l’Irlande ou le Luxembourg, pour payer le moins d’impôts possible.
Face à ces réticences, l’objectif prioritaire de l’UE n’est donc plus de mettre en place la « taxe GAFA » au niveau européen mais au niveau mondial, notamment de l’OCDE. Même si le programme numérique de la Commission conserve l’hypothèse d’une taxe européenne en deuxième option.
Renforcer l’éducation au numérique
Afin que tous, jeunes et moins jeunes, maîtrisent au moins les compétences numériques de base, le programme de la Commission européenne ambitionne d’actualiser le plan d’action en matière d’éducation au numérique. A l’heure actuelle, ce plan comprend « 11 actions visant à soutenir l’utilisation des technologies et le développement des compétences numériques dans l’éducation« , détaille le site de la Commission. Pour Ursula von der Leyen, le numérique doit être au service d’une éducation plus inclusive, avec par exemple le développement de cours en ligne accessibles à tous.
Plus généralement, la nouvelle présidente de la Commission lie la réussite de la transformation numérique à l’éducation, « moteur de la compétitivité et de l’innovation en Europe« . A cet effet, Mme von der Leyen veut que l’espace européen de l’éducation soit une réalité d’ici 2025. Ce dernier vise en particulier à permettre plus facilement de passer d’un système éducatif d’un Etat membre à celui d’un autre, dans le but de favoriser l’accès à des enseignements de qualité. Par ailleurs, la future Commission soutient l’idée du Parlement européen de tripler le budget d’Erasmus + pour la période 2021-2027.
Une numérisation complète de la Commission
Mentionnant l’importance du secteur public dans la transformation numérique, le programme indique que l’exécutif européen doit donner l’exemple avec une « numérisation pleine et entière de la Commission« .
« En mettant en place de nouvelles méthodes numériques et de nouveaux outils de diplomatie numérique« , sa nouvelle présidente a la « conviction qu’ainsi, l’institution sera non seulement plus agile et plus souple, mais aussi plus transparente dans son fonctionnement« .